Des selles graisseuses qui flottent à la surface de l’eau et dégagent une odeur particulièrement nauséabonde peuvent révéler un dysfonctionnement méconnu du pancréas. L’insuffisance pancréatique exocrine, qui touche principalement les personnes atteintes de pancréatite chronique ou de cancer du pancréas, entraîne une maldigestion des graisses aux conséquences parfois graves. Ce que révèle ce trouble digestif sur l’état de votre système pancréatique et pourquoi certains signes ne doivent jamais être ignorés.
L’insuffisance pancréatique exocrine demeure une pathologie largement méconnue du grand public. Pourtant, ce dysfonctionnement du pancréas bouleverse profondément la digestion des aliments, particulièrement celle des graisses.
Dans la population générale, cette condition reste heureusement rare, touchant moins de 1 % des individus. Elle concerne principalement les patients atteints de pancréatite chronique, de cancer du pancréas ou ayant subi une chirurgie pancréatique.
Pour comprendre l’ampleur de ce dysfonctionnement, il faut saisir le rôle dual du pancréas. Cet organe vital assure simultanément deux fonctions distinctes : une fonction endocrine qui produit les hormones régulatrices de la glycémie comme l’insuline et le glucagon, et une fonction exocrine responsable de la sécrétion d’enzymes digestives essentielles.
Ces enzymes – lipase, amylase et protéase – permettent la digestion des aliments dans l’intestin grêle. Mais le pancréas détient une particularité unique dans notre organisme. « Le pancréas est le seul organe à pouvoir digérer les graisses », précise le Pr Philippe Lévy, pancréatologue à l’Hôpital Européen de Marseille.
Cette exclusivité explique pourquoi l’insuffisance pancréatique exocrine se traduit principalement par une maldigestion des lipides. Sans enzymes pancréatiques en quantité suffisante, l’organisme devient incapable de décomposer et d’absorber correctement les graisses alimentaires, entraînant des conséquences digestives caractéristiques.
Cette maldigestion des graisses ne passe pas inaperçue. L’organisme manifeste rapidement des signes cliniques caractéristiques qui permettent d’identifier l’insuffisance pancréatique exocrine.
Le symptôme le plus révélateur concerne les selles. L’insuffisance pancréatique exocrine provoque une stéatorrhée, terme médical désignant des selles graisseuses particulièrement reconnaissables. « L’insuffisance pancréatique exocrine se traduit par des selles graisseuses, de couleur mastic, qui flottent à la surface de l’eau et ont une odeur particulièrement nauséabonde », détaille le Pr Philippe Lévy.
Cette modification des selles s’accompagne d’autres manifestations digestives. Les patients développent fréquemment des ballonnements et des flatulences, conséquences directes de la mauvaise digestion des aliments.
Un amaigrissement modéré peut également survenir. Cette perte de poids résulte de la maldigestion des aliments et du déficit calorique qui en découle. L’organisme ne parvient plus à extraire efficacement les nutriments des graisses alimentaires.
Plus insidieusement, l’insuffisance pancréatique exocrine génère des carences en vitamines liposolubles A, D, E et K. Ces déficits peuvent provoquer des troubles de la vision, une déminéralisation osseuse, des troubles de la coagulation, avec un risque accru d’ostéoporose ou d’ostéomalacie.
Ces symptômes, bien que parfois discrets au début, constituent des signaux d’alarme importants qui nécessitent une évaluation médicale approfondie.
Cette évaluation médicale approfondie s’appuie sur un test diagnostique simple mais fiable. Le dosage de l’élastase fécale constitue la méthode de référence pour confirmer l’insuffisance pancréatique exocrine. « Le taux de cette enzyme pancréatique est fortement diminué en cas d’IPE », précise le Pr Lévy. Ce test non invasif nécessite uniquement un petit échantillon de selles recueilli à domicile.
Cependant, cet examen garde ses limites. Il ne présente d’intérêt que chez les patients présentant une maladie pancréatique connue et ne peut servir à la recherche de la cause d’une diarrhée chronique.
La pancréatite chronique représente la cause principale de l’insuffisance pancréatique exocrine. Cette pathologie, souvent liée à la consommation d’alcool et de tabac, endommage progressivement le tissu pancréatique. D’autres facteurs peuvent également déclencher ce dysfonctionnement : chirurgie du pancréas, maladie cœliaque, ou chirurgie bariatrique de type by-pass.
L’évolution suit généralement un schéma prévisible. « Dans la pancréatite chronique, l’IPE apparaît généralement après cinq à dix ans d’évolution de la maladie », illustre le spécialiste. L’insuffisance pancréatique exocrine se manifeste donc progressivement, à mesure que l’atteinte pancréatique s’aggrave.
Cette temporalité explique pourquoi l’IPE ne révèle que très rarement une maladie pancréatique inconnue. Elle survient chez des patients déjà diagnostiqués et suivis pour leur pathologie pancréatique sous-jacente.
Une fois le diagnostic établi, la prise en charge thérapeutique offre des perspectives encourageantes. Le traitement repose sur la supplémentation en enzymes pancréatiques, une solution efficace qui compense le déficit enzymatique naturel du pancréas défaillant.
Ces extraits thérapeutiques présentent toutefois une particularité importante : ils sont fabriqués à partir de pancréas de porc. Cette origine soulève des questions éthiques et religieuses pour certains patients. « Il est donc fondamental d’en informer les patients de confession musulmane ou juive, par respect de leurs convictions », souligne le Pr Philippe Lévy.
Face à cette problématique délicate, le spécialiste a adopté une démarche respectueuse et documentée. Il a consulté les plus hautes autorités religieuses concernées. « À l’époque, j’avais d’ailleurs soumis la question au recteur de la Grande Mosquée de Paris et au Grand Rabbin de France. Tous deux m’avaient confirmé qu’en l’absence d’alternative thérapeutique, leur usage était parfaitement acceptable pour les fidèles. »
La modalité de prise s’avère simple mais précise. Les gélules enzymatiques doivent être administrées au milieu et à la fin de chaque repas pour optimiser leur efficacité digestive.
Cette approche thérapeutique démontre son efficacité dans la grande majorité des cas. Le traitement permet de contrôler efficacement les symptômes digestifs, restaurant une qualité de vie acceptable pour les patients atteints d’insuffisance pancréatique exocrine.